EHPAD : LA MALTRAITANCE DES RÉSIDENTS ET DES PERSONNELS, FO LA DÉNONCE DEPUIS DES ANNÉES !

Si le livre Les Fossoyeurs, basé sur une enquête journalistique et qui fait grand bruit a mis en lumière les pratiques du groupe Orpea, l’Union nationale des syndicats Force Ouvrière de la Santé Privée pointe elle depuis longtemps les problèmes de maltraitance qui peuvent exister dans les Ehpad, tant vis-à-vis des résidents que des salariés.

C’est un pavé dans la mare qui place au premier plan de la scène, dans une lumière crue, ce que l’on savait déjà, ou du moins partiellement. Le livre Les Fossoyeurs du journaliste Victor Castanet documente de manière précise la maltraitance ides personnes âgées placées dans les résidences du groupe Orpea, leader mondial des Ehpad et des cliniques.

Il révèle aussi ce qui apparaît comme des scandales, au plan financier et syndical. Ainsi en est-il par exemple de la mise en place au sein du groupe d’un syndicat maison. Arc-en-ciel, acquis à la cause de la direction, a obtenu aux dernières élections professionnelles une large majorité dans les instances représentatives, chassant les autres organisations syndicales, dont Force Ouvrière.

Orpea fait la vie dure aux syndicats, sauf un…

Une juriste, interrogée par le journaliste à la suite de son alternance au service RH d’Orpea, témoigne que ce syndicat a été créé par la direction. Selon son récit, les élus Arc-en-ciel bénéficient d’avantages financiers ou de priorité pour les formations. Elle assure que le siège du groupe « pilotait » les élections, en accédant aux demandes de primes ou d’embauches formulées par le syndicat Arc-en-ciel, en prolongeant les contrats des salariés qui affichaient leur sympathie pour cette organisation et même en supprimant les professions de foi de certains syndicats des enveloppes prévues pour le scrutin.

Jeudi 3 février, une conférence de presse intersyndicale s’est tenue pour interpeller le gouvernement. Alors que celui-ci a engagé une double enquête administrative et financière sur le groupe, FO et d’autres organisations demandent de la transparence et des investigations sur Arc-en-ciel. Cette organisation ne remplit pas les critères légaux définissant un syndicat. En premier lieu, l’autonomie par rapport à la direction du groupe, précise Franck Houlgatte de l’UNSFO. L’intersyndicale souhaite également qu’une enquête soit menée sur les pratiques du groupe en matière de licenciement, pratiques qui semblent déjà avoir fait des victimes : des salariés syndiqués ou soupçonnés de sympathie avec les représentants syndicaux.

Car, dans le même temps, Orpea use de méthodes qui ressemblent fort à de l’intimidation envers les autres syndicats. Hier, deux délégués syndicaux d’une autre organisation ont été virés, précise Franck Houlgatte. Ceux de Force Ouvrière en ont également fait les frais, mais impossible d’avoir les chiffres précis, explique-t-il, les problèmes étant éparpillés sur le territoire, tout se passe bien sûr dans les établissements. Sans compter que cette attitude pas vraiment favorable aux syndicats est encore indirectement accentuée par la pratique du recours aux CDD. Et, dans ce cadre, ce qui est en fait un licenciement peut passer pour une fin de contrat. Les salariés, qu’ils soient actuels ou anciens, ont peur de témoigner, assure le militant. Ceux qui travaillent encore dans le groupe ne veulent pas sacrifier leur vie, ils ont des maisons à payer, des enfants qui font des études … Ils ne veulent pas se mettre en danger à quelques années de la retraite. Pour ceux qui ont quitté le groupe, c’est la peur d’être identifié par leur nouvel employeur qui les freinent.

FO demande l’annulation des dernières élections professionnelles

Reçu le 8 janvier avec d’autres syndicats par la ministre déléguée chargée de l’Autonomie au ministère des Solidarités et de la Santé, Brigitte Bourguignon, l’UNSFO a rappelé que les révélations de Victor Castanet dans son livre ont été dénoncées par l’organisation depuis de nombreuses années. Nous avons mandaté notre cabinet d’avocats pour engager des procédures de contestations et demander l’annulation des dernières élections professionnelles, indique Franck Houlgatte. Surtout, le syndicat a insisté sur le détournement d’argent, via des postes financés mais non pourvus ou encore des retrocommissions sur des achats, notamment les couches, ce qu’a révélé le livre Les Fossoyeurs.

Il est primordial que cet argent, issus de l’impôt des Français via la CSG et du salaire différé via les cotisations sociales de l’ensemble des travailleurs, ne reste pas dans les poches des actionnaires d’Orpea, insiste le militant. Il est impératif que le ministère oblige le groupe à rembourser les sommes détournées.

Des sommes d’argents qui donnent la nausée, encore plus lorsque l’on sait que, le matin, les résidents d’Orpea avaient pour seul déjeuner deux biscottes, un petit carré de beurre et un de confiture, témoigne une ancienne salariée du groupe sous couvert d’anonymat. Comment alors ne pas penser à ce que FO martèle depuis longtemps : la prise en charge des personnes âgées dépendantes doit relever du service public.

De nombreux salariés quittent la profession

Le livre de Victor Castanet a aussi remis en lumière la situation catastrophique dans lesquels se trouvent les Ehpad français, privés et publics. Chez Orpea, les conditions de travail laissent sans voix, de même que les conséquences qu’elles ont sur la vie des résidents. Une ancienne salariée témoigne : De nuit, nous étions seulement deux. Entre 20h30 et 23h, nous devions changer, donner les médicaments et coucher 80 personnes dont 30 étaient en unité Alzheimer et grande dépendance.

Le peu de temps, dû au manque de personnel, pour être près de résidents, est une règle dans la plupart des Ehpad. Au point que la toilette « tête main cul », à savoir une toilette limitée à ces trois endroits du corps, est connue par la quasi-totalité des travailleurs du secteur. J’ai travaillé dans d’autres maisons de retraites. La plupart du temps, nous avions 17 minutes pour chaque résident le matin. 17 minutes pour les réveiller, les lever, faire leur toilette, les raser et habiller ainsi que changer les draps. Dans ce métier, on finit sur les rotules, témoigne cette ancienne salariée.

Cette maltraitance, les personnels des Ehpad ne peuvent bien sûr se résoudre à l’admettre. Lorsque l’on choisit une profession pour prendre soin des autres, c’est très dur de constater que l’on s’en occupe mal à cause d’un manque de personnel, explique Franck Houlgatte. Lorsqu’ils rentrent chez eux le soir, beaucoup se demandent si l’insuffisance d’attention portée à un résident n’aura pas des conséquences graves pour lui. Et nombreux quittent la profession pour partir dans l’industrie par exemple. Certes, ils n’y seront pas mieux payés mais au moins, ils n’auront plus ce genre de pensées le soir. Des salariés qui craignent aussi de faire l’objet d’une procédure pour maltraitance et négligence de la part de la direction. Car le plus souvent, lors de ces procédures, c’est bien le travailleur qui est pointé du doigt et non ses conditions de travail déplorables.

Plus largement, analyse l’UNSFO, il faut repenser l’accueil et l’accompagnement des ainés sauf à accepter qu’ils subissent une fin de vie peu enviable. Cela signifie notamment, et alors que le privé prend une part grandissante dans le secteur des Ehpad, qu’il faut repenser les conditions de travail des personnels. Pour l’instant, celles-ci sont mauvaises, assorties d’une faible rémunération qui rend le métier peu attractif, et tout cela s’ajoutant à un manque évident d’effectifs. Les gens doivent garder en tête que leurs parents iront ou sont déjà dans des Ehpad. Et que, eux-mêmes, y résideront surement puisque c’est le modèle actuel. À eux de choisir quel modèle de société pour la fin de vie ils souhaitent, contextualise Franck Houlgatte.

InFO militante
par Chloé Bouvier, L’Info Militante