DÉGELER LE POINT D’INDICE : POUR QUI ? POURQUOI ?

Promis par Emmanuel Macron, le dégel de la valeur du point d’indice de la fonction publique “est nécessaire pour ne pas réduire plus l’attractivité de la fonction publique”, explique l’économiste François Ecalle dans une note à paraître. Mais avant de procéder à ce dégel, encore faut-il dresser un état des lieux précis des salaires et de l’attractivité dans le secteur public. Le coût d’une telle mesure est également à interroger.

Le manque de candidats aux derniers concours enseignants est venu confirmer une dynamique à l’œuvre depuis plusieurs années, celle d’une crise d’attractivité du métier et, plus largement, de l’ensemble de la fonction publique. Alors que faire ? Pour l’économiste François Ecalle, l’inversion de cette tendance passe nécessairement par le dégel de la valeur du point d’indice de la fonction publique.

Celui qui préside le site d’information sur les finances publiques Fipeco s’apprête à publier une note sur la politique salariale de la fonction publique. Une note qu’Acteurs publics a pu consulter et qui revient notamment sur le dégel du point d’indice, promis par Emmanuel Macron mais qui attend encore d’être concrétisé. La valeur de ce point, pour rappel, est quasiment gelée depuis 2010, exception faite d’une petite majoration en deux temps à la fin du quinquennat Hollande (+ 0,6 % en juillet 2016 puis + 0,6 % également en janvier 2017).

Revaloriser, oui, mais de combien ? 

“Dans un contexte où l’inflation pourrait redevenir durablement forte et se répercuter dans les évolutions salariales du secteur privé, le dégel de la valeur du point est nécessaire pour ne pas réduire plus l’attractivité de la fonction publique, explique François Ecalle, ancien rapporteur général du rapport de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques. Mais il reste à déterminer de combien il faudrait l’augmenter, ce qui n’est pas une question triviale.” L’ampleur de la revalorisation prévue par l’exécutif n’est pas encore connue.

La rémunération, concède l’économiste, “n’est certes pas le seul facteur” explicatif de la diminution de l’attractivité de la fonction publique. Et de citer le “rôle important”, pour les agents publics, de l’organisation et de l’intérêt du travail, de la reconnaissance sociale de son utilité, des perspectives de carrière ou encore des zones géographiques d’affectation.

“Il en est de même de la situation globale du marché du travail, marquée également par un renforcement des difficultés de recrutement dans le secteur privé à la fin des années 2010”, poursuit François Ecalle. Néanmoins , ajoute-t-il, la faiblesse des salaires de départ dans la fonction publique, “qui résulte du gel du point (…) contribue certainement à réduire son attractivité”. 

Remédier aux biais des mesures catégorielles

Au-delà de la problématique de l’attractivité, le dégel du point est nécessaire aux yeux de François Ecalle pour “toucher les agents qui n’ont pas bénéficié” des dernières mesures catégorielles, “surtout si leur poste est peu attractif”. Des mesures catégorielles que l’équipe Macron a toujours préférées à des mesures de revalorisation générale. Jusqu’à son récent changement de position sur le point d’indice…

L’économiste balaie également un argument souvent avancé pour ne pas dégeler le point d’indice. Celui selon lequel cette revalorisation générale conduirait à des augmentations “d’autant plus fortes que le salaire est élevé”, ce qui serait “injuste et inefficace”. Un argument en partie biaisé, selon François Ecalle : “En fait, elle se traduit par une hausse identique pour tous les agents en pourcentage du salaire et n’a donc pas d’effet sur la distribution des revenus et les inégalités alors que les mesures prises ces dernières années ont eu tendance à favoriser les bas salaires et à comprimer la hiérarchie des rémunérations.” 

Si certaines des mesures catégorielles “étaient sûrement justifiées, précise-t-il, d’autres ont sans doute été prises en fonction du pouvoir de négociation des personnels intéressés avec des risques d’aggravation des inégalités de traitement au sein de la fonction publique”. François Ecalle relève aussi un élargissement des écarts entre les régimes indemnitaires des ministères, faisant “obstacle à la nécessaire mobilité professionnelle des fonctionnaires”. 

Tenir compte de la “contrainte budgétaire”

Mais avant de dégeler la valeur du point, encore faut-il disposer d’un vrai diagnostic des salaires et de l’attractivité dans la fonction publique. François Ecalle appelle ainsi à dresser un “état des lieux précis” en la matière. Un exercice difficile malgré tout, selon l’économiste, “puisque les données statistiques manquent mais l’administration, avec ses services d’inspection ou la Cour des comptes, devraient pouvoir fournir des éléments quantitatifs d’appréciation permettant d’éclairer des débats qui pourraient devenir très vifs”. 

Le sens donné aux missions des agents publics comme l’organisation du travail pourraient également “être améliorés”, ajoute-t-il. Le tout “à un coût inférieur” à celui d’un dégel du point d’indice. François Ecalle n’oublie en effet pas d’où il vient (la Rue Cambon) : “La contrainte budgétaire existe toujours et la revalorisation devra en tenir compte.” 

L’ex-rapporteur de la Cour des comptes reprend ainsi un chiffrage souvent avancé par l’administration. Celui d’une augmentation de 1 % de la valeur du point d’indice qui représenterait une dépense de l’ordre de 2 milliards d’euros, dont 900 millions d’euros pour l’État et ses opérateurs, 600 millions pour la fonction publique territoriale et 500 millions pour l’hospitalière. Cotisations sociales incluses, la facture s’élèverait à 3 milliards d’euros. Ces cotisations n’auraient toutefois pas d’impact sur le déficit public puisqu’elles seraient reversées aux régimes de sécurité sociale, et donc au budget de l’État. L’impact sur le montant des pensions de retraite versées serait quant à lui “très progressif”.