LE STATUT DES FONCTIONNAIRES, UN COUPABLE IDÉAL

Créé en 1946, le statut général des fonctionnaires, souvent critiqué, assure pourtant stabilité et indépendance des agents publics.

Rappelons les motifs qui présidèrent, après des décennies de conflits politiques et syndicaux et au lendemain des compromissions de Vichy, à l’adoption du statut des fonctionnaires en 1946, puis à son extension en 1983 et 1986.

En dérogeant au droit commun du travail, il s’agissait notamment de garantir un droit à la carrière. Cette protection de l’emploi, qui n’empêche aucunement les révocations disciplinaires, assure une plus grande stabilité du personnel pour faciliter la continuité du service.

Mais elle a aussi pour but d’offrir une forme d’indépendance aux fonctionnaires. Ils sont tenus à l’obéissance hiérarchique, mais pas si l’ordre est illégal ou contraire à l’intérêt général. C’est donc aussi une garantie et une protection pour nos concitoyens.

Les contrats sont pourtant aujourd’hui dans la fonction publique de plus en plus nombreux et le recours à l’intérim toujours plus fréquent.

Recourir aux contractuels, c’est affaiblir les services publics.

Oublier dans la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 portant transformation de la fonction publique de rappeler que les emplois permanents sont pourvus en priorité pars des fonctionnaires, c’est également affaiblir les services publics.

Coupable idéal, le statut des fonctionnaires serait trop rigide, inadapté aux transformations de la société. Solution miracle, le contrat ferait entrer la fonction publique dans la modernité.

L’idée n’est pas neuve : il s’agit d’accélérer un phénomène à l’œuvre depuis plusieurs années.

Si le statut a toujours prévu la possibilité d’un recours aux contrats, cela semble devenir la norme de recrutement dans la fonction publique. Entre 2011 et 2020, montre un document ministériel, le nombre des titulaires a stagné, tandis que celui des contractuels augmentait de 2,7 % par an.

Cela marque un profond changement de l’esprit et du fonctionnement des services publics. Pourtant, en regard de la place accordée à la question du « coût » qu’ils représentent, la question du statut des fonctionnaires est très peu discutée dans l’espace public.

Nous défendons portant l’idée que, contrairement à ce que l’on entend souvent, le statut est moderne car il reste à ce jour l’outil le plus adapté pour garantir la réalisation des missions d’intérêt général. Bien entendu, il peut et il doit évoluer.

C’est une nécessité pour s’adapter à l’évolution des besoins des citoyens et aux aspirations des nouvelles générations : faciliter les mobilités choisies, la promotion professionnelle, la formation tout au long de la vie…

Mais généraliser le contrat et faire progressivement disparaître le statut, c’est non seulement renforcer l’arbitraire dans la gestion des carrières, mais c’est aussi étendre à la fonction publique le « paradigme du travail-marchandise », comme l’écrit le spécialiste du droit du travail Alain Supiot.

Cela renvoie à une conception de la société ne devant reposer que sur la concurrence. Ainsi, les primes au rendement individuel, instillées de plus en plus fréquemment dans la fonction publique, témoignent du succès de cette vision des services publics.

Or, nous considérons que, bien au contraire, ces derniers doivent reposer sur des principes de solidarité et sur le sens du collectif. Ce sont ces principes qui sont aujourd’hui modernes.

Le statut a toujours permis d’assurer la pérennité des principes fondateurs du service public. C’est à ce prix que nous pourrons garantir le pacte républicain, et donc l’égalité d’accès à l’éducation, à la santé, à la justice et la paix sociale. Préservons ces acquis.

8 octobre 2022
Source: le Monde.