RÉMUNÉRATION DES AGENTS PUBLICS : OBJECTIVATION DES EFFETS DANS LE TEMPS DU GEL DE LA VALEUR DU POINT D’INDICE

La présente note ne vise pas à dresser un état des politiques salariales (1), mais tente d’objectiver les principaux enseignements dans le temps du gel de la valeur du point d’indice entre 2010 et 2022 (exceptées les deux hausses de 0,6% en 2016 et 2017).

En effet, si la rémunération ne constitue qu’un des leviers de l’attractivité de la fonction publique, pour Le Sens du service public, le gel de la valeur du point d’indice sur le temps long a fini par rendre quasi-inopérants les autres leviers d’actions, notamment, l’attrait pour les missions.

Pour le Sens du service public, la question de la rémunération renvoie à la problématique du pouvoir d’achat dans un contexte d’inflation, mais surtout à la considération que les pouvoirs publics accordent aux agents publics. Cantonner la politique salariale à la maîtrise des dépenses publiques témoigne de l’absence de politique RH et n’offre ni visibilité aux employeurs publics, ni un contrat de confiance aux agents publics.

Les politiques salariales des fonctionnaires ont évolué selon deux objectifs depuis le début des années 2000. D’une part, elles ont été couplées à la maîtrise des dépenses publiques. D’autre part, la volonté a été de transformer l’architecture de la rémunération tenant compte du grade vers une rémunération orientée sur le métier.

Le premier objectif a été rempli par le gel de la valeur du point d’indice, ce qui a notamment entraîné une perte de pouvoir d’achat et soulève aujourd’hui de réels problèmes d’attractivité.

Le second objectif est un quasi échec. La complexité des mécanismes de rémunération rend l’architecture peu lisible et peu incitative dès lors que les classifications par métiers (répertoire des métiers et dictionnaire interministériel des métiers et des compétences) se superposent aux grades sans être couplés aux enjeux salariaux.

Il convient de noter que malgré le gel du point pendant plus de 10 ans, l’évolution de la rémunération des agents publics est restée positive notamment du fait des augmentations individuelles (avancements de grades, avancements d’échelons, promotions internes) et catégorielles (créations de primes spécifiques, PPCR, aménagements de grilles pour certaines catégories de métiers comme le SEGUR, le Grenelle de l’éducation, le Beauvau de la sécurité…)

Ainsi, entre 2013 et 2020, le salaire moyen net du secteur public a augmenté de 8,83%. Toutefois, le système de rémunération s’est complexifié sur fond de gel du point et à mesure que les Gouvernements ont appliqué des mesures correctives, qui ont oscillé entre des mesures sur les grilles indiciaires et des mesures sur les métiers.

Tab1
Evolution 2013-2020 de la comparaison des salaires moyens nets des secteurs public et privé

 

Tab2
Évolution 2013-2020 de la comparaison des salaires nets médians des secteurs public et privé

1. La lente érosion du pouvoir d’achat des agents publics

Avec une augmentation de 3,5% de la valeur du point d’indice le 1er juillet 2022, le Ministre Stanislas Guerini a précisé avec raison qu’il s’agit de la plus importante augmentation annuelle depuis 1985 (2). Cependant, cette hausse de 3,5% ne signifie pas une augmentation équivalente du pouvoir d’achat des agents publics.

En effet, cette forte revalorisation intervient dans un contexte d’inflation importante (5,9% sur un an en 2022) et après dix années de gel. En 2023, l’INSEE et la Banque de France envisagent une inflation supérieure à 5,5%, tandis que le Gouvernement dans le PLF 2023 prévoit 4,3%.

Tab3
De 2002 à 2022, comparaison annuelle du taux d’inflation et du taux d’évolution de la valeur du point

2. Des débuts de grilles indiciaires de plus en plus proches du SMIC

L’État a essayé de corriger les pertes de pouvoir d’achat par des mesures sectorielles (SEGUR, Grenelle de l’éducation, Beauvau de la sécurité…) ou par des dispositifs spécifiques (garantie individuelle du pouvoir d’achat, part grandissante du régime indemnitaire). Mais ces corrections renforcent les inégalités entre agents.

Ces mesures n’ont par ailleurs pas évité le tassement des grilles indiciaires. Ce dernier est provoqué par les augmentations du SMIC qui progresse plus vite que le salaire moyen de la fonction publique. L’effet de rattrapage des hausses du SMIC par les grilles indiciaires fait que,
dans le temps, une part de plus en plus importante des premiers échelons des catégories C et B est rémunérée au SMIC. Ceci provoque un sentiment de stagnation pour les jeunes agents et engendre pour les plus anciens une très forte réduction du différentiel salarial lié à
l’ancienneté.

Ainsi, suite à la nouvelle augmentation du SMIC au 1er janvier 2023 de 1,8%, qui a bénéficié à 400.000 agents publics, un agent de catégorie A au 1er échelon a une rémunération indiciaire supérieure de 179€ par rapport au SMIC.

Malgré la revalorisation des débuts de carrières des agents de catégorie B au 1er septembre 2022, un agent de catégorie B au 1er échelon perçoit une rémunération indiciaire supérieure de 14,55€ par rapport au SMIC.

Les agents de catégorie C qui sont du 1er au 8ème échelons ont une rémunération indiciairensupérieure de 7€ par rapport au SMIC, à laquelle peut éventuellement s’ajouter une part indemnitaire.

Tab4
En € Comparaison 2006-2023 de l’écart en €, entre le salaire brut mensuel d’un agent public au 1er échelon et le SMIC

3. La rémunération, principale cause du manque d’attractivité des métiers de la fonction publique

Si la rémunération n’est pas le seul facteur d’attractivité (conditions de travail, déroulements des carrières, intérêts pour les missions…), la lente érosion du pouvoir d’achat des agents publics et l’architecture de rémunération complexe ont nécessairement des conséquences sur
l’attractivité des métiers de la fonction publique.

Ainsi, même si le concours n’est plus la seule porte d’entrée dans la fonction publique, la baisse du nombre de candidats aux concours révèle un manque d’attrait pour les métiers de la fonction publique. La sélectivité des recrutements externes ne cesse de baisser et s’est établie
en 2020 à 5,8 candidats présents pour 1 admis. En 2011, le taux de sélectivité était encore de 12,2 candidats présents pour 1 candidat admis.

Par exemple, en 2022, le nombre de candidats admissibles au CAPES pour être enseignant était inférieur au nombre de postes ouverts dans cinq matières du secondaire. De même, alors qu’en 1997, 241.699 personnes candidataient pour être auxiliaires de soins ou aides-soignants, elles n’étaient plus 28.874 en 2019.

Dans le secteur privé, selon une étude du Cabinet Robert Half (3), 64% des salariés français envisagent de demander une augmentation de salaire lors de leur entretien annuel en 2023.

En effet, dans un contexte d’inflation, la rémunération devient le critère numéro 1 des candidats pour rejoindre une entreprise. C’est pourquoi, 74% des dirigeants français déclarent prévoir une hausse salariale égale ou supérieure à l’inflation pour tous leurs collaborateurs, car ils estiment que ne pas offrir une rémunération compétitive sur le marché du travail est susceptible de ne pas attirer des personnes qualifiées.

En comparaison, et à titre indicatif, dans un mini-sondage sur le réseaux social Linkedin, réalisé par le Sens du Service public en décembre 2022, sur les 1.284 répondants, 71% estimaient que l’insuffisance de rémunération constituait selon eux la principale raison du manque d’attractivité des métiers publics.

Tab5
Les 3 principales causes du manque d’attractivité des métiers de la fonction publique

4. Le besoin de donner de véritables perspectives salariales aux agents publics en offrant de la visibilité

Depuis une quinzaine d’années à la désindexation des salaires s’est ajouté le gel de la valeur du point. Le retour de l’inflation doit réinterroger cet arbitrage politique et admettre la pertinence d’une formule d’indexation des salaires sur la base d’un indicateur partagé entre les employeurs publics et les partenaires sociaux, pour éviter les à-coups salariaux. Il ne s’agit pas d’indexer la valeur du point sur l’inflation et ce, dans la mesure, où des éléments individuels (avancements d’échelons, avancements de grades, promotions internes, GIPA) contribuent déjà à la hausse de la rémunération des agents publics.

Toutefois, une formule d’indexation de la valeur du point donnerait davantage de visibilité pluriannuelle aux agents et employeurs publics et garantirait une rémunération évolutive.

Pour répondre à la problématique de l’attractivité salariale des métiers, il faut instaurer un véritable mécanisme d’ascension salariale au cours de la carrière. Les grilles indiciaires du fait de leur obsolescence ne remplissent plus cet objectif.

Par ailleurs, réinterroger l’architecture des rémunérations renvoie à la question de la rémunération à la performance collective. Cette faculté, ouverte par la loi au travers du complément individuel annuel, pourrait en se basant sur des critères négociés avec les organisations syndicales, constituer un levier managérial important permettant d’instaurer l’équivalent d’un intéressement collectif dans la fonction publique.

Enfin, le chantier salarial annoncé par le Ministre Stanislas Guerini devra corriger les inégalités salariales entre les femmes et hommes (l’écart estimé est de 12%). Même si l’écart de salaires entre les femmes et les hommes est plus faible dans la fonction publique que dans le secteur
privé (16,8 %), et qu’il est en diminution depuis 2013, les améliorations doivent être poursuivies.

Si les causes sont multiples (temps partiels, surreprésentation des femmes au sein des emplois les moins rémunérés, interruptions de carrières, plafond de verre…), les conséquences sont toutes les mêmes, écarts salariaux et pensions de retraite moindres.

(1)  Retrouvez dans cette courte vidéo les propositions du Sens du service public en matière de rémunération des agents publics:

(2) La revalorisation de la valeur du point entrée en vigueur le 1er juillet 2022 représente un coût estimé en année pleine de 7,473 milliards d’€ pour les trois versants, dont 3,213 milliards d’€ pour la FPE. La suppression de la CVAE (contribution sur la valeur ajoutée des entreprises) et de la redevance audiovisuelle représentent additionnées une perte de recette fiscale pour l’État de 13,2 milliards d’€ par an.
(3)  https://www.roberthalf.fr/blog/salaire/remunerations-tendance-packages-personnalises

18 janvier 2023
Par Johan Theuret
dans miroirsocial.com