POKER MENTEUR SUR LES RÉMUNÉRATIONS DES AGENTS

Stagnation salariale, « fonctionnaire bashing », postes vacants… Les métiers de la fonction publique ne font plus rêver, au point que la refonte des rémunérations est un chantier prioritaire, toutefois repoussé après la réforme des retraites. Les syndicats attendent des actes

« Notre pays tient tout entier sur des femmes et des hommes que nos économies rémunèrent si mal. » C’est par ces mots ­qu’Emmanuel ­Macron s’est adressé aux ­Français à la télévision, le 13 avril 2020, en pleine crise du Covid pour rendre hommage à ceux qui ont tenu les services publics durant l’épidémie. Depuis, la question des rémunérations s’est imposée comme l’un des sujets centraux pour redonner de l’attractivité aux métiers de la fonction publique.

Il faut dire qu’en vingt-cinq ans le nombre de candidats aux concours a été divisé par quatre, selon le ministère de la Transformation et de la fonction publiques. Au point que la situation est devenue préoccupante dans certains secteurs. En 2022, par exemple, le nombre de candidats admissibles au Capes pour être enseignant était inférieur à celui des postes ouverts dans cinq matières du secondaire. La situation n’est pas plus encourageante au sein des collectivités. Selon le 13e baromètre Randstat, réalisé en 2022 en partenariat avec « La Gazette », 59 % des collectivités témoignent de difficultés récurrentes à recruter.

Situation explosive

Le ministre de la Transformation et de la fonction publiques, Stanislas ­Guerini, hérite d’une situation explosive. En parallèle du retour d’une forte inflation, il doit gérer l’effet boomerang de plus de dix ans de quasi-gel de la valeur du point d’indice. Depuis 2010, cette clé de voûte de la rémunération des fonctionnaires a perdu 14,7 % de sa valeur. Et ce n’est pas la revalorisation de 3,5 % l’année dernière qui solutionne le problème. « C’est nettement insuffisant au vu de l’inflation [5,2 % en 2022, ndlr] », commente ­Julien ­Fonte, secrétaire général de la FSU Territoriale.

rémunérations

Après trente ans de discours politiques contre les fonctionnaires les accusant de coûter trop cher, l’exécutif a multiplié, depuis la crise sanitaire, les négociations catégorielles : Ségur de la santé, ­Beauvau de la sécurité, Grenelle de l’éducation… Mais malgré le déblocage de 8 milliards d’euros pour les soignants, de 800 millions sur cinq ans pour les policiers et de 635 millions pour ne plus payer un enseignant moins de 2 000 euros net par mois, il peine toujours à combler le nombre grandissant de postes vacants.

La raison ? Pour ­Prune Helfter-Noah, porte-parole du collectif Nos services publics, « le rattrapage salarial n’a pas été à la mesure de ce qu’a été le confinement. Et même si certains discours sont devenus inaudibles, le logiciel idéologique n’a pas changé ». Un avis partagé par ­Johan ­Theuret, cofondateur du groupe de réflexion Le Sens du service public : « Depuis la révision générale des politiques publiques [de] Nicolas Sarkozy, la vision est purement comptable. Or la rémunération est aussi une marque de considération que l’on porte aux agents publics. » « Le décrochage est tel avec le secteur privé que le sens des missions ne suffit plus à ­raccrocher les ­fonctionnaires à leur métier », analyse ­Prune ­Helfter-Noah. Entre 2013 et 2020, le salaire moyen net du secteur privé a augmenté de 14,35 % contre 8,83 % pour le secteur public, selon Le Sens du service public. Et les disparités sont importantes entre les versants de la fonction publique. Ainsi, 200 euros net par mois séparent aujourd’hui le salaire net moyen des agents de catégorie C de la fonction publique d’Etat de celui de la territoriale.

Tassement des grilles indiciaires

Les gouvernements successifs ont préféré renforcer les inégalités entre agents en multipliant les augmentations individuelles (avancements de grade, d’échelon, promotions internes) et catégorielles (créations de primes spécifiques, PPCR…). « On a eu tendance à revaloriser les catégories qui sont les plus médiatiques en oubliant certains métiers », explique ­François ­Ecalle, ancien magistrat à la Cour des comptes. De l’avis de ­Johan ­Theuret, ces décisions ont complexifié le système de rémunération et rendu son architecture « peu lisible et peu incitative ».pouvoir achat

L’autre conséquence a été le tassement des grilles indiciaires. « En échange du statut et d’un salaire bas, il y avait la promesse d’avoir une carrière. Maintenant, vous commencez bas, vous finissez bas », regrette ­Johann ­Laurency, secrétaire fédéral de FO Territoriaux. L’effet de rattrapage des hausses du Smic par les grilles indiciaires fait qu’une part de plus en plus importante des premiers échelons des ­catégories C et B est rémunérée au Smic. En 2023, c’est le cas de tous les agents jusqu’à neuf ans d’ancienneté. « Cet écrasement provoque un sentiment de stagnation chez les jeunes agents et engendre pour les plus anciens une très forte réduction du différentiel salarial lié à l’ancienneté », pointe l’étude du Sens du service public.

Ouverture d’une négociation

Pour tenter d’y remédier, ­Stanislas ­Guerini a annoncé l’ouverture d’une négociation sur les salaires au début de l’année 2023. Mais l’équation s’annonce complexe car celui-ci est contraint par les objectifs de maîtrise des finances publiques de Bercy. Néanmoins, pour ­Philippe ­Laurent, président du Conseil supérieur de la FPT, « on ne pourra pas échapper à une augmentation importante du point d’indice entre 5 % et 10 %, soit entre 10 et 20 milliards d’euros ». La fourchette haute de cette estimation correspond aux demandes des syndicats majoritaires de la fonction publique.

Ils réclament une inversion de la logique qui s’est imposée ces dernières années. « Il n’est pas normal que les primes et indemnités prennent le pas sur le point d’indice et les grilles indiciaires », critique ­Sylvie ­Ménage, secrétaire générale de l’Unsa Territoriaux. Surtout que ces primes ne sont jamais les mêmes selon les grades et ne sont pas obligatoires dans la territoriale. Ils demandent aussi de retrouver des amplitudes de carrière pour fidéliser les agents. « Il faut retrouver des écarts entre nos différents niveaux de recrutement », insiste ­Marie ­Mennella, secrétaire nationale d’Interco-CFDT.

­Johan ­Theuret, lui, soutient une formule d’indexation des salaires sur la base d’un indicateur partagé entre les employeurs publics et les partenaires sociaux pour donner davantage de visibilité pluriannuelle aux agents. « Une indexation sur l’inflation serait déraisonnable car il y a aussi le glissement vieillissement-technicité et les avancements de grade et d’échelon », nuance-t-il.

Les macronistes préféreraient des ­augmentations ciblées, si l’on en croit le rapport sur les perspectives salariales de la fonction publique de mars 2022 de Paul Pény, l’actuel directeur de cabinet de ­Stanislas ­Guerini. Parmi les propositions, le ministre a retenu dans ses interventions médiatiques l’instauration d’une prime d’intéressement et l’accentuation de l’individualisation des rémunérations. Une perspective confirmée par la circulaire du ministère du Budget relative au lancement de la procédure budgétaire pour 2024 adressée aux ministères. Elle demande de retenir comme « hypothèse de travail » une « valeur stable » du point d’indice de la fonction publique à 58,2004 euros.

« On doit avoir un débat sur la décorrélation du point d’indice de la fonction publique et la responsabilisation des collectivités comme employeur public. Est-ce que les collectivités sont prêtes à prendre cette responsabilité ? » s’interroge ­Thomas ­Cazenave, président (Renaissance) de la délégation chargée des collectivités à l’Assemblée. Une ligne rouge pour les syndicats. Le bras de fer s’annonce tendu.

Publié le 27/01/2023
Par Romain Gaspar
dans : lagazettedescommunes.com