COMMENT PROUVER LE HARCÈLEMENT DANS LA FONCTION PUBLIQUE ?

Les victimes de harcèlement moral1 sont souvent démunies pour le démontrer et le faire reconnaître. Il est nécessaire de faire attention avant de lancer des accusations car l’agent peut être sanctionné disciplinairement et pénalement (diffamation ou dénonciation calomnieuse) si le harcèlement moral n’est pas démontré. L’enjeu de cet article est de présenter les éléments permettant de constituer un dossier pour faire reconnaître le harcèlement moral afin qu’il cesse.

Le harcèlement moral ne peut être démontré que s’il y a une répétition d’actes visant à altérer les conditions de travail de l’agent, avec comme conséquence une compromission de son avenir professionnel et une altération de sa santé2. Le rappel de cette définition est nécessaire car souvent l’agent public se heurte à la difficulté de rassembler des éléments qui permettent de qualifier le harcèlement moral dans l’ensemble de ses aspects. Si la charge de la preuve est partagée (1), celle-ci est libre (2).

1. La charge partagée de la preuve

En 2011, le Conseil d’État a établi le principe selon lequel : « il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d’agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence d’un tel harcèlement ; qu’il incombe à l’administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d’apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu’il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d’instruction utile »3. Avant de porter des accusations de harcèlement moral, l’agent doit réunir le plus d’éléments possibles permettant établir la réalité des agissements qu’il a subis, ainsi que leur caractère répété. En réalité, la preuve du harcèlement moral repose en réalité sur l’agent et sur l’administration. L’agent a l’obligation de démontrer la matérialité des actes de harcèlement moral dont il se dit être la victime. Sa démonstration doit reposer sur des éléments de faits précis et concordants pour que le harcèlement subi soit vraisemblable. À l’inverse, ce sera à l’administration d’apporter tout élément permettant d’établir que les faits en cause ne relèvent pas d’un harcèlement moral.

2. Les éléments probants

Les éléments de preuves peuvent être libres et apportés par tous moyens.

Concernant les agissements répétitifs, l’agent peut collecter des attestations de témoignage sous forme de Cerfa. L’avantage de cette preuve est qu’il s’agit d’un témoignage avec un serment. Il est plus engageant qu’un simple courrier pour la personne qui le remplit. D’autres écrits peuvent être des courriers et des courriels. Si plusieurs mains courantes ont déjà été déposées, cela peut permettre d’étoffer le dossier et d’établir un caractère répétitif.

Ces éléments écrits doivent démontrés une dégradation des conditions de travail. Ces éléments peuvent établir des ordres hiérarchiques contradictoires, des propos injurieux, des injonctions à faire démissionner un agent ou à le faire partir d’un service, des décisions injustifiées et des comportements répréhensibles.

Enfin, la compromission de l’avenir professionnel de l’agent et une altération de sa santé doivent être établis par les médecins traitants et généralistes, la consommation de médicament avec des ordonnances renouvelées, la saisine de conseils médicaux qui reconnaissent l’imputabilité au service d’un accident ou d’une maladie professionnelle.

Ces éléments sont parfois longs à obtenir mais permettent d’établir la vraisemblance d’un harcèlement moral.

Dénoncer le harcèlement moral nécessite d’avoir les éléments qui permettent de qualifier celui-ci. Le temps et la construction patiente du dossier est nécessaire avant d’entamer toute démarche. L’aide d’un conseil est primordiale pour éviter les procédures de dénonciation calomnieuse ou de diffamation contre l’agent qui se dit victime de harcèlement. Une accusation de harcèlement moral n’est jamais anodine et nécessite pour l’agent d’être exposé à un combat qui peut être long.

Publié le 8 février 2023
Dominique Volut
, Avocat-Médiateur au barreau de Paris, Docteur en droit public
weka.fr

 


1. Le Code de la fonction publique distingue le harcèlement sexuel, du harcèlement moral. L’article L. 133-1 dudit Code dispose qu’ : « aucun agent public ne doit subir les faits :
1° De harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;
2° Ou assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers ».

2. Le harcèlement moral est défini par l’article L. 133-2 du Code de la fonction publique comme le fait « (qu’)aucun agent public ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ». L’article 222-33-2 du Code pénal vise « le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits ou à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

3. Conseil d’État, Section du Contentieux, 11 juillet 2011, n° 321225, Publié au recueil Lebon.