DISCRIMINATIONS À L’EMBAUCHE : LA TERRITORIALE N’EST PAS ÉPARGNÉE

Les candidats à un emploi public peuvent, comme dans le privé, subir des discriminations. Rendre les critères de sélection objectifs et le processus de recrutement transparent fait partie des mesures garantissant que tous les profils sont évalués sur un pied d‘égalité.

Le gouvernement a présenté, le 30 janvier, un plan triennal de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations liées à l’origine. Il prévoit, sur le volet de l’emploi, le renforcement des campagnes de testing. Ont aussi été promises l’institution d’une amende civile pour les auteurs d’infractions, employeurs compris, et la formation de l’ensemble des agents de la fonction publique d’Etat sur ces sujets, le CNFPT étant invité à faire de même pour les territoriaux. Hormis l’origine visée par le plan gouvernemental, le code pénal ­reconnaît 22 critères de discrimination, tels que le sexe, la situation de famille, la grossesse, l’apparence physique, le patronyme, le lieu de résidence, l’état de santé, le handicap, les mœurs, l’âge, la religion…

Consonance des noms, handicap, enfants…

Le Défenseur des droits rappelle régulièrement à l’ordre les employeurs territoriaux concernant des pratiques discriminatoires à l’embauche. Comme exiger « un âge compris entre 18 et 25 ans et la nationalité française ou celle de l’un des Etats membres de l’Union européenne » pour candidater à des jobs étudiants (décision du 21 décembre 2016). On ne peut pas non plus justifier le non-renouvellement d’un contrat d’une agente de bibliothèque en lui disant que son « souci de santé n’est pas compatible avec les missions » qu’elle est censée remplir et que ses « absences, certes justifiées, mais nombreuses » impactent « l’orga­nisation du service » (décision du 27 janvier 2022).

En ­France, peu de recherches ont été menées en matière d’inégalités d’accès à l’emploi public, en dehors du programme « Desperado » (lire ci-­dessous), qui fait ressortir le caractère particulièrement pénalisant des prénoms et noms à consonance maghrébine, du handicap et de la parentalité. « Il n’est pas rare d’enten­dre encore des réflexions comme “Vous avez déjà deux enfants, ce serait bien que vous ne tombiez pas enceinte une troisième fois” » indique ­Nicolas Verhille, secrétaire régional Nord – Pas-de-Calais et délégué fédéral FO Territoriaux.

La « préférence locale » encore appliquée

Dans la territoriale, la discrimination fondée sur le lieu de résidence revêt une forme bien spécifique puisqu’elle ne conduit pas tant à écarter des candidats issus de quartiers ­populaires qu’à favoriser les habitants du territoire, au nom de la « préférence locale ». « Le favoritisme et le clientélisme restent très présents dans les collectivités », confirme ­Julien ­Fonte, cosecrétaire général Snuter-FSU.

« Si vous n’habitez pas le territoire, vous n’êtes pas embauché ! Ou alors, on vous demande de manière insistante de venir vous y installer », relève également Nicolas Verhille. Une directrice des ressources humaines confirme cet état de fait, regrettant une « approche politico-électoraliste des élus » qui vient en contradiction avec sa « stratégie de recrutement fondée sur les compétences ». Les agents originaires d’outre-mer risquent, eux, de voir leur candidature mise de côté en raison du mécanisme des congés bonifiés. « Dans les petites collectivités, ils ont du mal à se faire embaucher », ­constate ­Johann ­Laurency, secrétaire fédéral FO Territoriaux. Il témoigne, par ailleurs, du risque de discrimination liée à l’appartenance politique, faisant part de sa propre expérience : « Lorsque j’ai été recruté comme adjoint administratif, le maire, lors de l’entretien d’embauche, me lance : “C’est une mairie de gauche, ici, vous savez… Vous ne bouffez pas du rouge, au moins ?”. J’ai vu sa secrétaire, qui était également présente, se liquéfier… » Pour éviter ce type de dérive, certaines collectivités se dotent d’un guide des principes et règles à respecter pour garantir l’égalité de traitement, à l’image de Nantes (ville et métropole, 24 communes, 7 600 agents, 656 300 hab.) et du département de la Seine-Saint-Denis (lire ci-dessous).

Les mises en situation lèvent des freins

L’anonymisation des CV et des lettres de motivation peut permettre de prévenir les discriminations en raison du patronyme, de l’origine réelle ou supposée, de l’adresse, voire de l’âge et du sexe. La pratique est pourtant loin d’être répandue, notamment à cause des ­difficultés à la mettre en œuvre. « L’anonymisation des candidatures pour les recrutements externes est difficile à mettre en application avec nos moyens existants. En revanche, en interne, afin de faciliter le reclassement de nos agents, nous avons mis en place une “fiche agent compétences et expériences” pour la sélection aux périodes d’immersion, qui laisse sous couvert les éléments ­potentiellement discriminants », indique ­Fanny Gallois, directrice du développement des RH de Saint-Quentin (ville, agglomération, CCAS, 1 800 agents, 39 communes, 80 200 hab., ­Aisne). L’utilisation de ce type de fiche est également envisagée pour les mobilités choisies.

La place accordée aujourd’hui aux soft skills pourrait contribuer à ­déconstruire les représentations. « Nous expérimentons les mises en situation, avec les équipes, dans le domaine informatique, en ­particulier. On peut ainsi voir les personnalités se révéler. Cette pratique lève énormément de freins », note ­Fanny ­Gallois. La ville de ­Paris (53 000 agents, 2,16 millions d’hab.) a, quant à elle, décidé de passer par le jeu vidéo pour la présélection de ses adjoints d’animation. La solution choisie, « Goshaba », évalue les capacités de manière ludique à partir des compétences attendues. « Les candidats participent au jeu anonymement, ce qui évite toute forme de discrimination. Et cela nous a permis de toucher de nouveaux profils », relate ­Frédérique ­Lancestremère, directrice des ressources humaines. Rien n’interdit de penser que les difficultés de recrutement, et l’obligation qui en découle d’élargir le vivier des candidats, pourraient entraîner dans leur sillage un recul des discriminations à l’embauche.

Focus

« Nous préconisons de diversifier les jurys de concours afin d‘éviter la cooptation »

Damien Zaversnik, coprésident de La Cordée, association qui agit pour la diversité sociale dans le secteur public.

« Si nous saluons l’état d’­esprit volontaire du plan gouvernemental de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations liées à l’origine, la place qu’y tient la fonction publique reste floue, voire en deçà des espérances, à ce stade. Dans nos 27 propositions pour la diversité sociale dans la fonction publique, nous avions déjà demandé l’organisation de campagnes élargies de testing afin de mesurer et de faire connaître publiquement l’état des discriminations à l’­embauche dans le secteur public, ainsi qu’une formation systématique des membres de jurys et des recruteurs aux biais de discrimination, y ­compris cognitifs.

Nous préconisons de diversifier les jurys de concours afin d’assurer une variété de points de vue et éviter, notamment, les phénomènes de cooptation. Pour la haute fonction publique, nous recommandons même de désigner des citoyens tirés au sort afin de compléter les jurys de concours. Par ailleurs, nous estimons qu’assurer la lisibilité et la transparence des processus de recrutement permettrait à la fois d’éviter les risques de discrimination côté recruteurs et les phénomènes d’autocensure côté candidats. »

 

Focus

Les collectivités et les hôpitaux épinglés par un programme de recherche

Conduit depuis 2016 par des opérations de testing successives, le programme de recherche « ­Desperado », mené par des chercheurs des universités ­Gustave-Eiffel et de Nantes, s’­appuie sur les offres publiées en Ile-de-­France pour des emplois de cadres administratifs et d’aides-soignants. Il en ­ressort que la ­réputation du lieu de résidence et l’origine maghrébine sont aussi discriminantes dans l’­accès à l’emploi public que dans le privé.

Il apparaît, de plus, que le handicap est un facteur aussi discriminant que l’origine d’un candidat. L’état de grossesse et une future parentalité pour un homme ont un effet négatif, avec 15 % de chances en moins d’obtenir une réponse positive à une candidature. Dans leur étude de 2022, les chercheurs relèvent que les discriminations à l’embauche sont « plus rares dans la fonction publique de l’Etat » et « plus fréquentes » dans les hôpitaux et les collectivités locales.

 

Focus

Une grille objective garantit l’égalité de traitement lors de l’entretien des candidats

[Seine-Saint-Denis, 8 000 agents, 1,6 million d’hab.]

Dans le cadre du label « Diversité », le département de la Seine-Saint-Denis a pris des mesures afin de garantir l’égalité de traitement en matière de recrutement. Personnels RH et encadrants sont formés, une à deux journées, aux critères de discrimination, aux façons de les déconstruire et aux méthodes pour les éviter. Les chefs de service y sont aussi sensibilisés durant une demi-­journée.

Une grille, avec des éléments objectifs, est utilisée pour chaque entretien. « Les mêmes questions sont posées à tous les candidats au même poste », indique ­Juliette ­Griffond, responsable de la mission « égalité diversité ». Une note est attribuée à chacun, sur la base d’un barème. Les informations comportant des risques de discrimination, comme l’âge, ne sont pas données. La mission « égalité diversité » vérifie régulièrement que le process a bien été respecté en sélectionnant des procès-verbaux d’entretien au hasard. Une étude est par ailleurs actuellement menée sur les indications de sexe, d’adresse et d’origine des agents recrutés afin de vérifier s’il y a pu y avoir rupture d’égalité.

« Nous nous sommes dotés d’un logiciel de recrutement qui nous permet de centraliser toutes les informations et de pouvoir mieux les analyser », précise ­Juliette ­Griffond. Dans le mail adressé aux candidats malheureux, il est leur est signifié qu’ils peuvent contacter le médiateur du département pour toutes remarques sur la ­procédure de recrutement.

Contact : Juliette Griffond, jgriffond@seinesaintdenis.fr

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Publié le 02/03/2023
Par Maud Parnaudeau
Dans : lagazettedescommunes.com