INTERCOMMUNALITÉ : BIENVENUE EN POST-DÉMOCRATIE

Le fléchage des délégués communautaires lors des municipales ne change rien à l’affaire. L’intercommunalité reste un «club de maires à l’abri des citoyens», juge un collectif de politologues emmenés par Rémi Lefebvre et Sébastien Vignon.

Circulez, il n’y a rien à voir. La place accordée à l’intercommunalité dans la campagne des municipales de 2020 a de nouveau été réduite à peau de chagrin. L’introduction, en 2014, du fléchage des délégués communautaires dans les communes de plus de 1 000 habitants n’a guère bousculé les habitudes des candidats en place.

Les maires sortants s’approprient toujours les lignes de bus, le ramassage des poubelles ou les zones d’activité portés par leur EPCI. Un comble, alors que l’intercommunalité a pris un essor considérable depuis la loi « Notre » de 2015, pesant désormais au bas mot 50 milliards d’euros.

Avec ses 2 milliards de fonds annuels, la métropole européenne de Lille représente autant que les 95 budgets cumulés des communes qui la composent. Ce poids lourd financier est pourtant présidé, depuis 2014, par un poids plume politique, Damien Castelain, maire (DVD) d’un village de 900 habitants, Péronne-en-Mélantois. Le plus petit dénominateur commun pour les différentes forces politiques en présence.

Logiques de tiroir-caisse

Dans un livre intitulé « Politiser l’intercommunalité, le cas des élections locales de 2020 » (aux éditions Presses universitaires du Septentrion, avril 2023), un collectif de politistes emmené par Rémi Lefebvre et Sébastien Vignon dénonce les arrangements dans la coulisse entre édiles municipaux. Ils pointent du doigt les logiques de troc et de saupoudrage qui prévalent sur les stratégies de redistribution de la richesse territoriale. L’heure n’est définitivement pas au grand soir, mais à la cogestion.

« Les élus de l’ensemble des formations partisanes, du PCF aux Républicains, incluant même ceux du Rassemblement national parfois, s’accordent pour remiser leurs différends », déplore Fabien Desage, coauteur, avec David Guéranger, de l’ouvrage majeur sur le sujet, « La politique confisquée. Sociologie des réformes et des institutions intercommunales » (aux éditions du Croquant, 2011).

L’exemple de la communauté d’agglomération du Grand Avignon est particulièrement éclairant. Le patron (DVD) Joël Guin a été élu avec le concours des douze élus RN ou assimilés. Le premier magistrat (RN) du Pontet, Joris Hébrard, s’est vu octroyer le rang de numéro 3 de l’institution. Avant d’entrer en 2022 à l’Assemblée nationale, il était vice-président aux travaux (voirie et bâtiment) du Grand Avignon.

Les élections à la tête des exécutifs communautaires se prêtent à bien des jeux d’alliance. A la métropole de Grenoble, le président apparenté socialiste Christophe Forcari a rompu l’alliance rose-verte. Il s’est fait réélire avec les voix de la droite et des macronistes contre le représentant du maire (EELV) de la ville-centre, Eric Piolle.

Une séance de onze heures qui a laissé des traces. Les supporters d’Eric Piolle ont dénoncé « un parjure » et « un déni démocratique profond » : « Le président de la métropole a été élu contre les trois plus grandes communes du département et leurs habitants. »

Fabien Desage voit là « un laboratoire de la post-démocratie ». Il invite les élus à « regarder la faillite de l’intercommunalité en face ». Une pierre dans le jardin de Sébastien Martin (ex-LR). Loin du sombre tableau des politistes, le leader d’Intercommunalités de France considère que le mode de gouvernance actuel « permet de préserver les organes communautaires des débats de politique politicienne ».

FOCUS

Les leçons de la métropole de Lyon

Seul ensemble urbain doté des compétences départementales, la métropole de Lyon a, pour la première fois en 2020, élu ses représentants au suffrage universel direct sans fléchage. Les 150 membres de son conseil ont été désignés par un scrutin de liste dans quatorze circonscriptions distinctes. Une élection unique en France, qui a d’ores et déjà trouvé sa place dans le paysage politique. Pour preuve, le choix du père-fondateur de la métropole, le macroniste Gérard Collomb, de participer à cette joute plutôt qu’à la compétition municipale lyonnaise. Comme un symbole de la nouvelle hiérarchie des pouvoirs, c’est un second rôle, le 19e adjoint Yann Cucherat, qui a porté les couleurs de La République en marche lors du scrutin communal. Les deux macronistes ont été sèchement battus par EELV. Mais la métropole de Lyon constitue une vitrine de choix pour les écologistes.

Publié le 20/04/2023
• Par Jean-Baptiste Forray
• dans : lagazettedescommunes.com