UNE FEUILLE DE ROUTE SANS MOYENS

Alors que les membres de l’exécutif sont désormais accueillis sur le terrain par des casserolades, le programme des cent jours d’apaisement, d’unité, d’ambition et d’action, décrété le 17 avril par le président de la République et détaillé le 26 avril par la Première ministre, ambitionne de faire oublier au plus vite la « séquence » des retraites, combat des travailleurs contre la réforme ainsi qualifié par le jargon politico-médiatique. Après plus de trois mois de surdité vis-à-vis des demandes des organisations syndicales, l’exécutif, soudain pressé de renouer le dialogue, annonce ses projets. Mais tant en matière d’éducation, de santé, de travail, de salaires que de fiscalité, ceux-ci n’ont rien de nouveau, rien de convaincant. Les priorités affichées dans cette feuille de route ne sont pas de nature à répondre à la profonde crise sociale actuelle et à rétablir une France plus juste, analyse FO pour qui il est hors de question de tourner la page des retraites et qui demande toujours le retrait de la loi, promulguée le 15 avril dans la précipitation. Pour l’apaisement, estime son secrétaire général, Frédéric Souillot, cent jours ne suffiront pas, et il faudra que l’exécutif apporte des garanties avant une rencontre. Focus sur les principaux dossiers voulus par l’exécutif pour ces cent jours. Dossiers dont les contenus ne donnent pour l’instant aucun signe de réponse aux revendications.

Pacte de la vie au travail : la précipitation attendra !

Après avoir méprisé durant des mois le dialogue social, et restant sourd à l’opposition de l’intersyndicale et d’une majorité des salariés à la réforme des retraites, l’exécutif tend soudain la main aux organisations syndicales. Le 26 avril, la Première ministre Élisabeth Borne a invité les interlocuteurs sociaux à bâtir, d’ici le 14 juillet, un agenda social pour un nouveau pacte de la vie au travail. L’objectif est d’ouvrir des négociations en vue d’une future loi Travail.

Perspectives de carrière et reconversion, prévention de l’usure professionnelle, emploi des seniors, compte épargne-temps universel… Tous les sujets sont sur la table pour améliorer la vie au travail, a promis la cheffe du gouvernement. Y compris le CDI Senior et l’index senior en entreprise, des mesures retoquées par le Conseil constitutionnel dans le cadre de la réforme.

Le gouvernement met encore la charrue avant les bœufs

Ce sont autant de sujets que nous demandions de pouvoir discuter préalablement à la réforme des retraites, a rappelé sur France Info Michel Beaugas, secrétaire confédéral FO chargé de l’emploi et des retraites, estimant qu’une fois encore le gouvernement met la charrue avant les bœufs. FO, comme l’intersyndicale, revendique le retrait de la réforme.

Retourner autour de la table, ce n’est pas pour tout de suite, avait déclaré le secrétaire général de FO, Frédéric Souillot, sur Radio J le 27 avril. Et de souligner que sur la question de l’emploi des seniors, un CDD seniors existait depuis 2006… Si c’est pour reprendre des mesures qui ne sont jamais utilisées, ça ne sert à rien, a-t-il ajouté.

CLARISSE JOSSELIN

 

Création de France Travail : des inquiétudes tous azimuts

Outil du «plein emploi» voulu par Emmanuel Macron (un taux de chômage à 5%), la création de France Travail est confirmée. Un projet de loi arrivera début juin, a indiqué Élisabeth Borne. La structure remplacera Pole emploi en regroupant les acteurs de l’emploi et de l’insertion (les missions locales deviendront «France Travail Jeunes», Cap emploi sera renommé «France Travail Handicap»). Prétendument plus efficace pour les demandeurs d’emploi, ce guichet unique permettrait aux acteurs de mieux coopérer, en partageant des procédures adaptées par territoire, selon le rapport de préfiguration. FO souligne ses inquiétudes quant au paritarisme : A priori, le conseil d’administration national de France Travail devrait inclure les syndicats. Mais la structure sera aussi déclinée dans les régions et les départements. Or, à ces niveaux, les syndicats ne sont pas cités dans la gouvernance!, relève Michel Beaugas, secrétaire confédéral chargé de l’emploi. FO, qui s’oppose à cette régionalisation du service public de l’emploi, à la main de l’État et des collectivités, craint des inégalités territoriales de traitement des demandeurs d’emploi.

RSA conditionné!

Alors que les règles d’indemnisation de l’Assurance chômage ont été durcies au 1er février dernier, FO s’inquiète d’un risque de radiations facilitées par France Travail où le demandeur d’emploi sera soumis à un contrat d’engagement, un contrôle global et des sanctions progressives. Le RSA, quant à lui, serait octroyé contre 15 à 20 heures d’activité par semaine, a confirmé Élisabeth Borne. Une rupture de l’inconditionnalité du RSA inadmissible pour FO, qui rappelle qu’il s’agit d’un minimum social de survie.

ARIANE DUPRÉ

Éducation : le pacte enseignant, un piège au service de la pénurie

Le non-remplacement des professeurs à l’école et dans le second degré pose problème? Qu’à cela ne tienne, l’exécutif prétend y remédier en rendant systématique le remplacement des absences de moins de quinze jours. Comment, alors que le dispositif existe déjà et ne donne pas satisfaction? En remplaçant l’absent par un enseignant d’une discipline différente. C’est le trou dans l’emploi du temps qui est remplacé, a insisté Pap N’Diaye, ministre de l’Éducation nationale.

Parmi les autres mesures qui composent le pacte enseignant : une augmentation moyenne de… 4% (ne compensant même pas l’inflation) grâce au doublement d’une indemnité, non prise en compte dans le calcul de la pension. La FNEC FP-FO, avec l’intersyndicale, réfute le terme de revalorisation, d’autant que le pacte va conduire à un alourdissement de la charge de travail.

Et revoilà la réforme contestée des lycées pro…

La rémunération de ceux qui accepteront de nouvelles missions augmentera de 11% à 25% (toujours sur une base indemnitaire). Sont particulièrement visés les débuts de carrière. Ces missions représenteront jusqu’à 72 heures par an : remplacement d’un collègue, accompagnement des devoirs, stages pendant les vacances, soutien renforcé à l’école, etc. Mais certaines missions concernent un engagement annuel sans limite horaire, comme la coordination de projets innovants ou l’accompagnement renforcé d’élèves à besoins particuliers.

Elles seront attribuées à discrétion par les directeurs d’établissement et concerneront aussi les lycées professionnels (par exemple : suivi de l’insertion post-diplôme ou présentation de leur discipline au collège). De ce côté, toujours pas de nouvelles de la réforme, contestée depuis un an. Si le gouvernement a déjà reculé sur l’allongement de durée des stages, rien n’est encore fixé et Emmanuel Macron a annoncé que la réforme passerait par une loi d’ici à l’été

SANDRA DÉRAILLOT

 

Hôpital : aucune annonce de recrutement de personnels soignants

Pour désengorger les urgences d’ici la fin de l’année, il faudra généraliser le 15. Ce propos d’Élisabeth Borne, lors de la présentation de la feuille de route pour la santé, ferait presque sourire si la situation des moyens des hôpitaux n’était pas catastrophique. En 2021, faute de personnel, 4 300 lits ont encore été fermés. Au total, plus de 21 000 lits ont été supprimés entre 2016 et 2021, selon la Drees. En janvier dernier, FO comptait 30 764 lits fermés depuis 2013. Nous avons besoin de bras et de lits. Or, la Première ministre ne s’est engagée sur aucun recrutement. Cela coûterait visiblement trop cher!, s’agace Didier Birig, secrétaire général de la fédération FO-SPS (services publics et de santé). Il dénonce l’absence de mesure pour résoudre la pénurie de soignants : Cela fait des mois que nous demandons l’ouverture de discussions sur les recrutements hospitaliers, sans retour. Le gouvernement confirme qu’il n’ouvrira pas ce chantier. FO-SPS revendique un plan de 200 000 créations de postes dans les hôpitaux et les établissements médico-sociaux.

Projections fantaisistes

Seul geste le 26 avril : Élisabeth Borne a annoncé 2 000 places supplémentaires dans les instituts de soins infirmiers l’an prochain. Ce chiffre fantaisiste ne correspond à aucune étude sérieuse des besoins en infirmières à l’hôpital!, fustige Didier Birig. FO-SPS souhaite la création de ratios et de normes soignants/soignés pour garantir de bonnes conditions de travail et une qualité des soins égale pour les usagers sur tout le territoire : Aujourd’hui, il n’y a plus de pilotage national des besoins en santé. Si nous voulons sortir de la crise de l’hôpital, il faut y revenir. Or, rien de tel dans les priorités de l’exécutif.

ARIANE DUPRÉ

Salaires : les stratagèmes usés pour contourner leur hausse

Il faut collectivement agir pour revaloriser les salaires, indique la Première ministre. Et de citer la hausse du Smic… due uniquement à une revalorisation automatique liée à l’inflation, le gouvernement n’ayant jamais décidé de coup de pouce. Elle a confirmé par ailleurs l’arrivée dans les trois mois du débat parlementaire sur la transposition de l’ANI Partage de la valeur. Signé en février, notamment par FO, le texte rappelle toutefois que le salaire doit rester le pilier pour la progression salariale. Élisabeth Borne veut l’ouverture au plus vite de négociations sur la revalorisation des grilles dans les branches? Mais alors que de nombreux minima sont sous le Smic, nulle pression ne leur est mise, pas plus qu’aux entreprises. Et conditionner les aides publiques n’est toujours pas envisagé.

Rogner encore le salaire différé?

Gabriel Attal prône quant à lui un plan Marshal pour les classes moyennes, sans définir d’ailleurs celles-ci. Pour le ministre des Comptes publics, les leviers d’action pourraient être l’impôt sur les revenus (IR) et les cotisations salariales. Comprenez leur baisse. L’amélioration du salaire brut est ainsi balayée au profit — comme en 2018 — de la baisse du salaire différé, lequel finance la protection sociale. Une baisse de l’IR participerait quant à elle à dégrader encore les moyens des services publics. La Première ministre rappelle l’objectif de concilier le financement de nos priorités avec notre trajectoire budgétaire, en particulier notre cible de déficit public. La demande de huit fédérations syndicales du public, dont FO, de mesures générales importantes sur les salaires, et ce, dès le 1er mai, est pour l’instant restée sans réponse…

VALÉRIE FORGERONT

 

Lutte contre les fraudes ou anathème sur les plus modestes?

Dur avec les faibles et mou avec les forts!, telle est pour FO l’attitude de l’exécutif dans sa lutte contre les fraudes sociales et fiscales. Lutte dont le renforcement est élevé au rang de priorité, indiquait le 17 avril le président de la République, la Première ministre annonçant le 26 avril un «plan fraude» en mai. Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a désigné de premiers coupables… Nos compatriotes en ont ras le bol de voir des personnes toucher des aides qu’ils payent eux-mêmes et les renvoyer au Maghreb ou ailleurs alors qu’ils n’y ont pas le droit. Gabriel Attal, ministre des Comptes publics, a posé, lui, un lien entre la lutte contre les fraudes et la réforme du RSA, qui serait octroyé contre 15 à 20 heures d’activité. À noter que 34% des bénéficiaires potentiels du RSA ne le demandent pas. À noter aussi que le non-exercice global du droit aux prestations sociales équivaut au non-versement de 10 milliards d’euros par an, selon la Drees.

Les moyens insuffisants de la lutte

Mais, s’indigne FO, l’exécutif tait la réalité des chiffres et des échelles de grandeur. La fraude fiscale est évaluée entre 80 et 100 milliards par an. Rien que pour la TVA, 20 à 25 milliards selon l’Insee. Or, par les milliers de suppressions d’emplois dans les corps de contrôle (finances publiques, douanes, police judiciaire, justice), les moyens de la lutte sont insuffisants, pointe FO. Moins de 15 milliards d’euros ont été mis en recouvrement l’an dernier. Quant à la fraude sociale, elle est bien plus limitée et il faut faire des distinguos! La fraude aux prestations sociales est évaluée par les organismes sociaux à environ 2 milliards d’euros contre 8 milliards de fraude pour les cotisations sociales!, donc par les entreprises, rappelle FO.

VALÉRIE FORGERONT

Les «conventions» ou le risque d’amoindrir la liberté du débat parlementaire

I l n’y a pas un climat propice, estime la présidente de l’Assemblée nationale. De son côté, le président du Sénat s’interroge : Est-ce le moment? Deux réactions plutôt insensibles aux propos du président de la République qui, le 17 avril, un mois après l’adoption de la réforme des retraites à coups de 49.3, a réitéré sa volonté de revisiter les institutions. Seraient bientôt présentées des grandes pistes pour que le fonctionnement de nos institutions gagne en efficacité et en participation citoyenne. Des signes ont déjà été donnés. On passe trop par la loi dans notre république, avait-il déclaré le 22 mars, prônant toujours davantage de conventions citoyennes. Organisées par le CESE, elles sont composées de citoyens tirés au sort. Selon le Sénat, les crédits pour la participation citoyenne représentent désormais près de 10% du budget du CESE.

En marge des assemblées de la République

Ces conventions, hors l’Assemblée du CESE au sein de laquelle siège notamment FO, font des propositions, retenues, ou pas, ensuite par le gouvernement dans ses projets soumis au Parlement. Elles sont le prolongement du Conseil national de la refondation, créé en septembre 2022 et auquel FO a refusé de participer. Celui-ci peut être saisi de multiples thèmes : logement, travail, école, santé, modèle productif et social… On va systématiser cet été nos fameux conseils nationaux de la refondation en santé, a indiqué par exemple fin avril Emmanuel Macron. Avec leur représentation fourre-tout et procédant entre autres par des contributions en ligne, ces conseils sont pour le chef de l’État une nouvelle méthode d’élaboration des politiques publiques.

VALÉRIE FORGERONT
Publié vendredi 5 mai 2023

Sandra Déraillot Journaliste à L’inFO militante

Valérie Forgeront Journaliste à L’inFO militante

Ariane Dupré Journaliste à L’inFO militante

Clarisse Josselin Journaliste à L’inFO militante

L’Info Militante