LE MÉCÉNAT DE COMPÉTENCES FAIT SON ENTRÉE DANS LA FONCTION PUBLIQUE TERRITORIALE

Le mécénat de compétences est ouvert, à titre expérimental, aux fonctionnaires de certaines administrations dans le cadre de mises à disposition.
Jennifer Riffard, avocate au cabinet Adaltys, décrypte dans cette analyse les dispositions du décret du 27 décembre 2022 venu préciser les modalités pratiques ­d’instauration de cette expérimentation.

Le mécénat de compétences est une forme de mécénat en nature, qui consiste à mettre un salarié à la disposition d’une association ou d’un organisme d’intérêt général. Il se distingue du bénévolat, en ce que les prestations accomplies par le salarié au profit de l’organisme bénéficiaire le sont sur son temps de travail, et non sur son temps personnel.

Le mécénat de compétences, qui s’est développé dans le secteur privé depuis plusieurs années et prend la forme de prêts de main-d’œuvre ou de prestations de service, s’invite désormais dans le secteur public.

Ainsi, la loi « 3DS » du 21 février 2022 met en place, à titre expérimental, le mécénat de compétences dans la fonction publique. Il s’agira pour les fonctionnaires entrant dans le champ de cette expérimentation d’être mis à disposition auprès de certains organismes pour la conduite ou la mise en œuvre de projets répondant à leurs missions statutaires, lorsque leur expérience ou leurs compétences professionnelles sont utiles.

Un décret du 27 décembre 2022 est venu préciser les modalités pratiques ­d’instauration de cette expérimentation.

Les acteurs du mécénat de compétences

L’expérimentation prévue par la loi « 3DS » est fixée pour une durée de cinq ans, du 29 décembre 2022 au 28 décembre 2027.

Sur cette période pourront être mis à disposition, au titre du mécénat de compétences, les fonctionnaires de l’Etat, des communes de plus de 3 500 habitants, des départements, des régions et des EPCI à fiscalité propre.

Les personnes morales pouvant en bénéficier sont :

  • les œuvres et organismes d’intérêt général ayant un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, ­familial, culturel ou ­concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique, à la défense de l’environnement naturel ou à la diffusion de la culture, de la langue et des connaissances scientifiques françaises, dotés de la ­personnalité morale ;
  • les fondations ;
  • les associations reconnues d’utilité publique.

La mise à disposition des fonctionnaires, employés par les entités listées ci-dessus au profit de ces organismes, ne peut être prononcée, au titre du mécénat de compétences, que pour confier à ces agents la conduite ou la mise en œuvre de projets répondant à leurs missions statutaires, et pour lesquels les compétences et l’expérience professionnelles des agents sont utiles.

Une nouvelle hypothèse de mise à disposition

La liste des organismes pouvant bénéficier de ce dispositif est à ce jour limitée et, s’agissant des organismes de droit privé, seuls ceux contribuant à la mise en œuvre d’une politique de l’État, des collectivités territoriales ou de leurs établissements publics administratifs, et pour l’exercice des seules missions de service public qui leur sont confiées, peuvent bénéficier d’une telle mise à ­disposition.

L’expérimentation instaure donc une nouvelle hypothèse de mise à disposition pour développer le mécénat de compétences dans le secteur public, et les règles de droit commun de la mise à disposition trouvent à s’appliquer. Notamment, le décret du 27 décembre 2022 prévoit que la mise à disposition doit être prononcée, après accord de l’agent et de l’organisme d’accueil, par arrêté de l’autorité territoriale. L’assemblée délibérante doit en être préalablement informée.

De même, il y a lieu de relever, que :

  • la mise à disposition au titre du mécénat de compétences peut porter sur tout ou partie de la durée du temps de service de l’agent ;
  • elle suppose la conclusion d’une convention entre l’administration d’origine et l’organisme d’accueil, laquelle devra indiquer la nature des activités exercées par le fonctionnaire, la durée de la mise à disposition, les conditions d’emploi et de gestion administrative de l’agent, et les conditions et modalités de renouvellement de la mise à disposition ainsi que de fin anticipée de celle-ci ;
  • la mise à disposition pour mécénat peut également prendre fin avant le terme prévu initialement, sur demande de l’administration d’origine, de l’organisme d’accueil ou du fonctionnaire, dans le respect des règles de préavis prévues par la convention ;
  • en cas de faute disciplinaire, il peut être mis fin sans préavis à la mise à disposition par accord entre l’administration d’origine et l’organisme d’accueil ;
  • le fonctionnaire concerné peut être indemnisé par l’organisme d’accueil des frais et sujétions auxquels il s’expose dans l’exercice de ses fonctions, et également bénéficier d’un complément de rémunération, versé selon les règles applicables aux agents exerçant leurs fonctions dans l’organisme d’accueil.

La mise à disposition encadrée par des règles spécifiques

Si, pour l’essentiel, les règles de droit commun de la mise à disposition s’appliquent à celle des fonctionnaires dans le cadre du mécénat de compétences, le dispositif d’expérimentation agrémente ce régime de droit commun de règles spécifiques, qui permettent de tenir compte de l’objet de ces mises à disposition.

Tout d’abord, le législateur a estimé qu’il était indispensable de mettre en place un contrôle déontologique avant de décider de la mise à disposition. Ainsi, les collectivités qui envisagent de recourir à ce dispositif devront, au préalable, réaliser un contrôle de compatibilité entre l’activité envisagée et les fonctions exercées par le fonctionnaire au cours des trois années précédentes.

Il s’agit concrètement d’exercer le même contrôle que celui réalisé sur les activités lucratives que souhaitent assurer les agents cessant temporairement ou définitivement leurs fonctions (le contrôle porte ainsi sur le risque de compromettre ou de mettre en cause le fonctionnement normal, l’indépendance ou la neutralité du service, de méconnaître tout principe déontologique ou de placer l’agent en situation de ­commettre le délit de prise illégale d’intérêts).

Outre le contrôle de compatibilité devant être réalisé avant de décider de la mise à disposition, le décret prévoit que la convention doit rappeler les obligations s’imposant au fonctionnaire mis à disposition, telles que prévues par les articles L.121-1 à L.121-11 du code ­général de la fonction publique.

Ensuite, le législateur a entendu encadrer la durée de la mise à disposition. Celle pour le mécénat de compétences ne peut ainsi être prononcée que pour une durée maximale de dix-huit mois, et ne peut être renouvelée que dans la limite d’une durée totale de trois ans.

Enfin, la spécificité de cette mise à disposition porte également sur la question de la prise en charge de la rémunération du fonctionnaire. En effet, la réglementation de droit commun prévoit que la rémunération du fonctionnaire concerné lui est versée par son administration d’origine mais que l’organisme bénéficiaire la rembourse à ­l’administration.

Il existe cependant des exceptions au remboursement, les dispositions de droit commun permettant de déroger à ce principe lorsque la mise à disposition est prononcée au bénéfice de certains organismes, notamment lorsqu’elle intervient entre une collectivité territoriale et un établissement public dont elle est membre ou qui lui est rattaché.

S’agissant de la mise à disposition dans le cadre du mécénat de compétences, le ­remboursement n’est pas obligatoire. Toutefois, le dispositif d’expérimentation prévoit que lorsque la rémunération n’est pas remboursée, la mise à disposition constitue alors une subvention, et doit donner lieu à la conclusion d’une convention, telle que prévue par les dispositions de la loi n° ­2000-321 du 12 avril 2000.

En pratique, il est prévu que la convention intègre les éléments requis par la loi du 12 avril 2000 (notamment, objet de la subvention, montant, conditions d’utilisation, modalités de contrôle et d’évaluation de la subvention attribuée…). Ces éléments devant, bien entendu, être adaptés au fait qu’il ne s’agit pas d’une subvention stricto sensu, mais d’une mise à disposition de personnel à titre gratuit.

L’évaluation du dispositif d’expérimentation

L’expérimentation est mise en place pour une période de cinq ans à compter du 29 décembre 2022. Pour permettre son évaluation, un bilan annuel doit être dressé par chaque employeur public concerné, lequel doit comporter :

  • un état des fonctionnaires mis à disposition précisant leur grade et qualité, l’objet de la mise à disposition, sa durée, son coût, son caractère renouvelable ou non, et ­l’organisme bénéficiaire ;
  • la liste des structures bénéficiaires précisant, pour chacune, ses missions statutaires, le projet ayant justifié le dispositif, ainsi que le nombre de fonctionnaires mis à disposition de chaque structure.

La synthèse des mises à disposition, établie chaque année par le ministre chargé de la Fonction publique, fait l’objet d’une présentation au Conseil commun de la fonction publique. Une première évaluation doit être effectuée au plus tard à la fin du premier semestre 2025, et le dernier bilan est dressé au plus tard en décembre 2026.

Enfin, le gouvernement doit présenter au Parlement, au plus tard en décembre 2026, son rapport d’évaluation, qui doit comporter la synthèse des bilans annuels, évaluer l’expérimentation pour les deux fonctions publiques concernées et préciser, le cas échéant, les difficultés rencontrées.

/RÉFÉRENCES/

Loi n° 2022-217 du 21 février 2022, art. 209 ;

Décret n° 2022-1682 du 27 décembre 2022.