CRÉATION D’UN FONDS D’USURE PROFESSIONNELLE DANS LA FPT : QUELS SCÉNARIOS SONT SUR LA TABLE ?

Mis en ligne, le rapport de la mission de préfiguration sur la création d’un fonds de prévention de l’usure professionnelle dans la fonction publique territoriale formule une série de recommandations sur les actions à mener, les bénéficiaires et la gouvernance. S’agissant du financement, il présente plusieurs scénarios, variables selon l’ampleur des moyens.

Dans le cadre de la réforme des retraites, le gouvernement a inscrit dans la loi du 14 avril 2023 le principe de la création d’un fonds de prévention de l’usure professionnelle dans la fonction publique territoriale (FPT). Une réponse à la demande des employeurs territoriaux qui s’inquiètent des conséquences de l’allongement des carrières sur les 75 % d’agents de catégorie C très souvent sur des métiers pénibles (auxiliaires de puériculture, ATSEM, éboueurs, agents techniques…) et de surcroît vieillissants (43 % d’agents de plus de 50 ans).

Usure physique ou psychique

Ces métiers conduisent bien souvent à des situations d’usure physique ou psychique (ports de charge, contact avec des situations humaines difficiles, horaires décalés…). Objectif affiché du futur fonds d’usure professionnelle : éviter que les agents n’arrivent épuisés en fin de carrière, sans possibilité de reclassement.
Philippe Laurent, porte-parole de la coordination des employeurs territoriaux, président du Conseil supérieur de la FPT (CSFPT) et maire de Sceaux, a alerté sur le risque d’une forte hausse des arrêts maladie chez des agents déjà en situation d’usure professionnelle. Aujourd’hui, les procédures liées à l’inaptitude, à l’invalidité ou à l’absentéisme pour raison de santé ne cessent de progresser dans la territoriale.

Projet de loi de réforme de la fonction publique

Dans ce contexte, le ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, Stanislas Guerini, a lancé, le 12 mai 2023, une mission de préfiguration sur la mise en place d’un fonds sur la prévention de l’usure professionnelle dans la FPT. Confiée à Michel Hiriart, le président de la Fédération nationale des centres de gestion (FNCDG), et à trois inspecteurs généraux, elle a rendu son rapport mi-octobre et celui-ci vient d’être mis en ligne.
Pour rappel, la réforme des retraites a aussi créé deux fonds similaires, dotés chacun de 100 millions d’euros par an, dans le secteur privé et dans le champ des établissements hospitaliers et médico-sociaux publics, financés par l’Assurance maladie. Le fonds de prévention dédié à la FPT devrait être inscrit dans le projet de loi de réforme de la fonction publique qui sera présenté par le gouvernement au premier trimestre 2024. Ses contours seront discutés avec les partenaires sociaux, les employeurs territoriaux et les organisations syndicales d’ici les prochains mois. Compte tenu du manque de données sur le sujet de l’usure professionnelle, la mission préconise en premier lieu de doter le fonds d’une mission d’observatoire.

Quels bénéficiaires du fonds d’usure professionnelle dans la FPT ?

Selon les auteurs du rapport, le fonds doit toucher tous les agents quel que soit leur statut, fonctionnaires ou contractuels. Il prendrait en compte l’usure physique mais aussi psychique (métiers en contact avec le public de plus en plus difficiles avec notamment une montée de l’agressivité et de la violence des usagers). Plaidant pour n’exclure a priori aucun agent dans l’accès aux aides individuelles, la mission recommande que les partenaires sociaux à la tête du fonds définissent des métiers prioritaires du fait de leur exposition au risque d’usure, tout en ouvrant l’accès aux aides au-delà de ces métiers, pour des agents dont l’usure ou le risque d’usure serait reconnu par la médecine de prévention. Dans le cadre du conventionnement, il faudrait laisser la définition des priorités « métiers » ou « services » à la collectivité contractante, en lien avec son plan d’action.
À court terme, la définition des métiers prioritaires s’appuierait sur les travaux du CNFPT et des CDG comme sur un consensus à trouver entre les partenaires sociaux. Hors de ces métiers prioritaires, les agents pourraient accéder aux aides du fonds s’ils relèvent d’une situation d’usure ou de risque d’usure médicalement établie : reconnaissance par le médecin du travail d’un risque fort d’usure professionnelle, avis du médecin de prévention attestant d’un risque d’inaptitude, postes aménagés du fait de restrictions de capacités (préconisation du médecin de prévention), période de préparation au reclassement, disponibilité d’office pour raisons de santé.

Quelles actions ?

S’agissant des interventions, les auteurs du rapport préconisent le soutien à une large palette d’actions sur les situations de travail et les parcours professionnels, concernant aussi bien les petites que les grandes collectivités.
Dans le détail, les actions aidées par le fonds d’usure professionnelle dans la FPT pourront concerner la prévention primaire, secondaire et tertiaire, les conditions de travail, l’accompagnement des transitions professionnelles et la formation, en veillant aux articulations avec le FIPHFP et le CNFPT.

Quelle gouvernance du fonds d’usure professionnelle ?

S’agissant de la gouvernance du fonds, la lettre de mission privilégiait un scénario de rattachement à un fonds existant : Fonds national de prévention (FNP) de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) ou Fonds pour l’insertion des personnes handicapés dans la fonction publique (FIPHFP), tous les deux relevant de la Caisse des dépôts. « Cette option présente de nombreux avantages », estiment les auteurs, tout en reconnaissant certaines difficultés juridiques « modifiant les équilibres des organismes existants, compte tenu de différences de périmètres en termes de missions et de bénéficiaires ».
Atouts du FIPHFP : une forte notoriété auprès des collectivités, un bon ancrage territorial et des modalités d’intervention touchant les collectivités de toute taille. Formulant plusieurs scénarios de gouvernance, la mission dit sa préférence pour la création d’un fonds FPT sous forme d’un établissement public autonome, rattaché au FIPHFP par une direction commune, des outils d’intervention articulés (conventionnements communs) et une même équipe de gestion au sein de la Caisse des dépôts. « Ce scénario présente l’avantage d’une articulation forte entre les deux fonds permettant d’offrir aux collectivités un continuum de réponses allant de la prévention au maintien dans l’emploi et facilitant une mutualisation des outils de gestion », estime la mission.

Quel financement ?

Pour financer le fonds d’usure professionnelle, il est proposé un financement majoritaire des collectivités auquel s’ajouterait une participation de l’État. « Ce cofinancement permettrait au fonds d’avoir une capacité d’intervention plus grande, notamment pour financer des actions coûteuses comme les reconversions professionnelles », estiment les auteurs du rapport.
La contribution des collectivités prendrait la forme d’un prélèvement sur leur masse salariale (modèle du CNFPT), variant entre 0,1 et 0,15 %, selon les différents scénarios proposés, au terme d’une montée en charge progressive sur cinq ans. La nouvelle cotisation rapporterait ainsi 50, 70 ou 100 millions d’euros. Auditionné dans le cadre de la concertation menée par la mission de préfiguration, Guillaume Gonon, directeur du pôle santé du CDG 69, estime que « le montant de 100 millions d’euros est le bon niveau compte tenu des besoins ». Il soutient le modèle du FIPHFP et plaide pour la mise en place de conventions d’objectifs sur la prévention primaire, indispensables selon lui.
Le principe d’un bonus-malus intégré au prélèvement est jugé très intéressant mais « s’avère difficile à mettre en œuvre en l’absence de données de sinistralité adaptées pour le calculer comme dans la branche accidents du travail et maladies professionnelles », souligne la mission. Mais elle ne l’exclut pas d’ici les prochaines années. Et de proposer ainsi une majoration du prélèvement en l’absence de document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) applicable aux collectivités les plus grandes, à mettre en place au bout de deux ans de montée en charge du fonds. De plus, la mission plaide pour faire de l’existence d’un DUERP une condition du conventionnement avec le fonds.

Une enquête état des lieux menée par la FNCDG

Dans le cadre de la mission de préfiguration, la FNCDG a mené une enquête sur la prévention, la gestion de linaptitude et les reclassements au sein des collectivités. Parmi les 525 répondants figurent en majorité des communes de moins de 2 000 habitants. Les collectivités s’appuient très souvent sur les services de leur centre de gestion (49,57 % des répondants). Pour près d’un tiers des collectivités, l’accompagnement individualisé de l’agent s’organise également en lien avec le CDG. Dans une même proportion, les agents sont inscrits à des formations proposées par le CNFPT.
Dans 28 % des collectivités, les agents bénéficient d’entretiens individuels avec le médecin du travail. Seulement 13,4 % des répondants ont adopté un plan d’actions pour prévenir et anticiper les situations d’inaptitude et les reclassements.

Les attentes des collectivités

L’enquête évoque également la création du fonds de prévention de l’usure professionnelle. Pour les collectivités, il devrait agir en priorité pour financer : des aménagements de fin de carrière (68,25 %), des aménagements de poste (53,7 %), des équipements allégeant les facteurs de pénibilité (46,83 %), un accompagnement à la mobilité et aux transitions professionnelles (43,65 %), des actions de formation (31,75 %), une identification des principaux risques et des métiers les plus exposés (29,63 %), des recommandations d’actions en matière de prévention (23,54 %)…
De nombreux répondants attendent du fonds plus de souplesse pour intervenir sur le maintien dans l’emploi des agents au-delà des bénéficiaires de l’obligation d’emploi. Une souplesse d’intervention également souhaitée pour financer des sureffectifs occasionnels afin d’alléger le travail d’agents en situation d’usure, pour mettre en lien différents employeurs publics et/ou privés d’un même territoire, pour disposer d’appels à projet moins rigides que ceux du FNP, pour former de prestataires extérieurs intervenant dans les collectivités ou encore pour financer un fonds de solidarité destiné aux agents définitivement ou temporairement inaptes.

Philippe Pottiée-Sperry
Publié le 22 décembre 2023
par Rédaction Weka