TOUT SAVOIR SUR L’ENQUÊTE ADMINISTRATIVE

Si l’enquête administrative peut être librement mise en œuvre par l’autorité territoriale, elle doit être effectuée avec impartialité et rigueur. Dans cette analyse, Christopher Sovet, avocat associé au cabinet DBS avocats et associés, décline les étapes à suivre et les règles à respecter pour mener à bien cette procédure.

 

Peu utilisée il y a encore quelques années, l’enquête administrative est devenue un outil indispensable dans de nombreuses situations : pour constater des dysfonctionnements dans un service, vérifier la véracité d’accusations de harcèlement moral ou sexuel, s’assurer de la matérialité d’un comportement fautif, comprendre les circonstances d’un accident de service…

En effet, l’enquête administrative, qui a pour objet de collecter toutes les informations nécessaires, permet surtout à l’autorité administrative de prendre, en toute connaissance de cause et de manière sécurisée, des décisions.

Mais au-delà de l’engouement pour cet outil, il est important de rappeler que l’enquête administrative n’est jamais obligatoire et que, pour sa mise en œuvre, elle relève du pouvoir discrétionnaire de l’autorité territoriale et demeure une mesure d’ordre intérieur insusceptible de faire l’objet d’un recours contentieux .

Trois principes encadrant

Liberté

Aucune disposition législative ou réglementaire ne fixe les conditions dans lesquelles l’administration doit conduire l’enquête administrative. Les textes sont muets sur la procédure, le formalisme, la durée, etc., de cette enquête. Seule la jurisprudence administrative est venue préciser certaines règles.

Le principe est donc celui de la liberté : l’administration peut librement mener, dans les conditions qu’elle souhaite, son enquête. A cet égard, aucun principe contradictoire ne doit être respecté.

Ainsi, si un agent est visé par une telle instruction, celui-ci ne peut exiger d’être entendu et ne peut demander qu’un débat contradictoire soit organisé. De la même manière, les droits de la défense ne s’appliquent pas lors de la phase d’enquête (même si elle précède l’engagement d’une procédure disciplinaire). Ceci exclut donc, pour toutes les personnes auditionnées lors de l’enquête, le droit de bénéficier de la communication de son dossier administratif et de l’assistance d’un défenseur de son choix.

Impartialité

La liberté n’est pas sans limite puisque, pour assurer le sérieux et l’utilité de l’enquête administrative, celle-ci doit être impartiale. L’impartialité, exigence posée par le juge administratif, a pour objectif de prémunir l’enquête d’un éventuel risque de parti pris.

Cela étant, le juge administratif a eu l’occasion de préciser que la partialité d’une enquête administrative ne suffisait pas, en elle-même, à entacher d’illégalité la décision portant sanction.

Rigueur

Ce principe implique que l’administration dispose du temps adéquat pour mener son instruction en veillant à respecter les différentes étapes de son processus pour éviter d’entacher d’illégalité les décisions qui seront prises sur son fondement.

Mise en œuvre

Procédure à suivre

Si aucune procédure n’est prévue par les textes, il n’en demeure pas moins que, dans la pratique, quatre étapes peuvent être distinguées.

La première consiste à identifier la (ou les) personne(s) chargée(s) de mener l’enquête administrative de manière continue, du début à la fin. L’administration peut la réaliser en interne, en la confiant à des agents et/ou des élus, ou en externe, en la confiant à des tiers (par exemple, un avocat). Si elle est effectuée en interne, il est conseillé de confier l’enquête à une personne selon ses compétences ou ses qualités dans un service : DRH, conseiller prévention, représentant des agents… En tout état de cause, conformément à l’obligation d’impartialité, la personne chargée de piloter l’enquête ne devra pas être, directement ou indirectement, concernée par l’affaire.

Une fois identifiée, la personne chargée de l’enquête devra dresser la liste des personnes qui seront auditionnées. A cet égard, « l’administration est en droit de rechercher, en recueillant tous les témoignages qu’elle juge nécessaires ». L’objectif sera alors de recueillir des témoignages à charge et à décharge, de sorte que toute personne pourra être entendue. Il est à préciser que l’administration est dans l’incapacité juridique de contraindre les personnes à témoigner.

Aussi, la personne chargée de l’enquête devra rédiger la liste des questions qui seront posées. Dans ce cadre, il est conseillé de rédiger une liste unique de questions pour tous les agents interrogés même si, au regard des spécificités de l’enquête, elles pourront différer pour certains d’entre eux.

Enfin, aura lieu l’enquête en elle-même, ce qui impliquera de convoquer les différents agents concernés. Aucun formalisme précis ni aucun délai ne sont prévus par les textes ou la jurisprudence administrative. Lors des auditions, après avoir rappelé le cadre juridique de l’enquête, l’enquêteur pourra poser les questions. A cette étape, il est conseillé d’entendre l’ensemble des agents dans un temps relativement bref et dans des conditions permettant la confidentialité des échanges. L’enquêteur retranscrira ensuite par écrit (intégralement ou par des résumés sincères), dans un procès-verbal, les réponses données par les agents auditionnés.

Rédaction du rapport d’enquête

A l’issue des entretiens individuels, il appartient à l’enquêteur d’établir un rapport d’enquête auquel seront annexés tous les procès-verbaux d’audition. Toujours pour garantir l’impartialité, ce rapport devra être rédigé de manière objective. Surtout, il devra respecter le droit au secret médical et à la vie privée. S’agissant de sa rédaction, elle demeure libre. Il peut être conseillé de réaliser un rappel des faits, puis une analyse des réponses (par exemple, en dégageant des tendances au regard des réponses fréquemment données, tout en évoquant, lorsque cela est utile, les réponses alternatives), de qualifier juridiquement les comportements en cause (harcèlement, faute disciplinaire…).

Enfin, ce rapport comportera une conclusion pouvant résumer l’enquête ou dégager des propositions pour l’autorité territoriale. Un soin particulier devra être attaché à cette conclusion dès lors qu’elle servira de fondement aux décisions qui seront prises par l’administration.

Communication

Les dispositions relatives à la communication des documents administratifs sont essentiellement prévues par le chapitre 1er du code des relations entre le public et l’administration (CRPA).

A cet égard, d’une part, l’article L.311-1 du CRPA [11] pose un principe général de communication des documents administratifs qui concerne l’enquête administrative. Dans ce cadre juridique, la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada) considère qu’une enquête mettant en cause des agents publics est communicable à toute personne qui en fait la demande, et plus particulièrement aux intéressés et à l’officier de police judiciaire. En particulier, selon la Cada, sont communicables la synthèse de l’enquête administrative et le rapport des auditions individuelles.

Il s’agit aussi de la position du juge administratif. Ce dernier considère que « lorsqu’une enquête administrative a été diligentée […] et porte sur des faits qui, s’ils sont établis, sont susceptibles de recevoir une qualification disciplinaire ou de justifier que soit prise une mesure en considération de la personne […] le rapport établi à l’issue de cette enquête […] ainsi que, lorsqu’ils existent, les procès-verbaux des auditions des personnes entendues sur le comportement de l’agent faisant l’objet de l’enquête font partie des pièces dont ce dernier doit recevoir communication […] sauf si la communication de ces procès-verbaux serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné ».

D’autre part, ce droit à communication n’est pas sans limite puisque le CRPA prévoit des hypothèses pour lesquelles les documents administratifs « ne sont communicables qu’à l’intéressé » (CRPA, art. L.311-6. C’est le cas, par exemple, des documents dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, aux documents portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique nommément désignée ou facilement identifiable, aux documents faisant apparaître le comportement d’une personne dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice (CRPA, art. L.311-6)… Dans un tel cas de figure, l’article L.311-7 du CRPA prévoit que « lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables […], mais qu’il est possible d’occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions ».

Sur le fondement de ces dispositions, la Cada considère que « le rapport d’enquête administrative […] mentionne également le nom et la situation individuelle de nombreux agents qu’il met en cause à titre personnel […] Dans ces conditions, la commission considère que le document ne peut être communiqué à toute personne qui en fait la demande qu’après occultation […] de l’identité des personnes à l’origine des signalements […] de l’identité des personnes citées dans l’introduction… ».

Pour ces motifs, il est vivement conseillé, lors de l’enquête, d’avertir les agents auditionnés que leur témoignage est, en principe, protégé par la confidentialité mais que, dans certaines hypothèses (suites disciplinaires ou juridictionnelles), leurs auditions sont communicables et l’anonymat n’est pas garanti.

Publié le 20/03/2024
Par lagazettedescommunes.com

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