LA COUR DES COMPTES POUSSE À LA SUPPRESSION DE 100 000 POSTES DANS LES COLLECTIVITÉS
Dans un rapport publié ce mercredi 2 octobre, la Cour des comptes suggère de ne plus remplacer systématiquement les agents territoriaux partant à la retraite et, à terme, de supprimer 100 000 postes au sein des collectivités, soit 5,5 % de leurs effectifs. Selon la Rue Cambon, cela permettrait de réaliser une “économie importante” de l’ordre de 4,1 milliards d’euros par an.
Le Premier ministre, Michel Barnier, vient de le confirmer lors de sa déclaration de politique générale : les collectivités seront bel et bien mises à contribution pour réduire le déficit public. Reste encore à savoir comment le gouvernement compte les inciter à tailler dans leurs dépenses. Selon la Cour des comptes, de nombreuses “possibilités d’optimisation” et d’économies existent du côté de leurs dépenses de fonctionnement, notamment celles liées à leurs effectifs. Dans un rapport publié ce mercredi 2 octobre, la Rue Cambon plaide en effet en faveur de larges coupes dans les effectifs des collectivités, prônant la suppression de 100 000 postes.
Les dépenses de personnel constituent un “enjeu majeur pour modérer les dépenses des collectivités”, expliquent les magistrats financiers, qui avaient été missionnés en mars dernier par le prédécesseur de Michel Barnier à Matignon, Gabriel Attal, pour réfléchir à des pistes d’économies au sein de la sphère locale.
Depuis 2017, le taux de croissance annuel moyen des dépenses de personnel des collectivités s’élève effectivement à 2,7 %, soit un taux supérieur à celui observé dans la fonction publique d’État, puisqu’il s’établit, en cumul, à + 21,3 % entre 2016 et 2023, contre + 17,9 % pour l’État. Outre les mesures salariales et l’impact des hausses du point d’indice de la fonction publique, cette progression des dépenses s’explique aussi par la croissance des effectifs de la fonction publique territoriale.
Mouvement d’intercommunalisation
Au 31 décembre 2021 (les données les plus récentes), ce versant comptait ainsi 1,94 million d’agents publics, dont plus des trois quarts étaient employés par les communes et les intercommunalités. Surtout, ces effectifs ont crû “d’un peu plus de 100 000 agents” entre 2011 et 2021, soit l’équivalent d’une augmentation de 5,5 %. Pourtant, relève la Cour, il n’y a pas eu de nouveaux transferts de compétences entre l’État et les collectivités durant cette période.
Cette progression des effectifs “s’explique principalement par le développement de l’intercommunalité qui n’a pas été compensée par une baisse équivalente des effectifs des communes”, relèvent les magistrats de la Cour. “On observe ainsi un cumul de dépenses de personnel entre les communes et les intercommunalités plutôt qu’un transfert des communes vers les intercommunalités comme on aurait pu s’y attendre”, développent-ils en pointant donc un “mouvement d’intercommunalisation (qui) n’a pas engendré les économies de personnel attendues de la mise en commun de certaines compétences ».
5 à 6 milliards d’euros de masse salariale par an
Dans ce contexte, la Rue Cambon appelle à se “saisir de l’opportunité” des départs en retraite “pour repenser la structure et l’organisation du travail” au sein des collectivités et ainsi réduire les effectifs de la fonction publique territoriale. Selon les projections de la Caisse des dépôts, 7 % des agents territoriaux partent chaque année aujourd’hui à la retraite. Une proportion qui atteindrait 10 % par an à partir de 2025.
Au total, explique la Cour, ces départs représenteraient 5 milliards d’euros de masse salariale à remplacer à compter de 2025 et 6 milliards d’euros par an à compter de 2032. Aux yeux des magistrats financiers, la croissance du nombre de départs en retraite fournit ainsi “l’occasion aux collectivités de mener une réflexion de fond” sur leurs compétences et leur organisation. Ce qui, selon eux, nécessiterait de ne pas remplacer systématiquement les effectifs partant en retraite.
La Rue Cambon suggère ainsi de ne remplacer “qu’une partie des agents partant en retraite” afin de se fixer l’objectif de “ramener d’ici 2030” les effectifs des collectivités “à leur niveau du début des années 2010”. Ce qui, selon ses magistrats, représenterait une réduction d’un peu plus de 100 000 emplois ou 5,5 % de ces emplois pour une économie évaluée à 4,1 milliards d’euros par an à partir de 2030.
Temps de travail et autorisations spéciales d’absence
La réduction des effectifs n’est pas la seule piste d’économies avancée par la Cour des comptes dans sa “revue des dépenses” des collectivités. Elle y suggère aussi d’agir sur le temps de travail des agents territoriaux et sur leur absentéisme. Car en dépit de l’abrogation des régimes dérogatoires à la durée légale de travail en 2019, la durée annuelle de travail au sein des collectivités est toujours inférieure aux 1 607 heures légales : elle s’élevait ainsi à 1 564 heures en 2022.
“Malgré une mise en conformité progressive, de nombreuses dérogations persistent au motif de sujétions liées à la nature des missions ou aux cycles de travail”, explique la Rue Cambon. Surtout, ces sujétions portent rarement sur des cas affectant la santé des agents, sans compter que le contrôle par l’État de ces dérogations “a une portée très limitée”. Aussi, selon les magistrats financiers, l’alignement du temps de travail des agents territoriaux sur la durée légale du travail permettrait de réduire les effectifs des collectivités de 2,7 %, soit 52 000 agents, l’équivalent de 1,3 milliard d’euros d’économies annuelles.
Pour y parvenir, la Cour recommande notamment de mieux encadrer et de mieux contrôler “les sujétions particulières” à l’origine de situations dérogatoires pour en finir en particulier avec les “régularisations de façade”. Elle propose aussi de se pencher sur les “ambiguïtés” et la générosité du régime des autorisations spéciales d’absence (ASA) dans la territoriale.
Ce n’est pas la première fois que ces ASA sont pointées du doigt. Dans un rapport récemment remis au gouvernement, les inspections générales des Finances (IGF) et des Affaires sociales (Igas) préconisent de “clarifier” et de “rationaliser” ce régime d’autorisations spéciales dont peuvent bénéficier les agents publics. Les absences pour fêtes religieuses et pour garde d’enfants y étaient notamment pointées du doigt, au regard de leur caractère plus favorable que dans le secteur privé. La loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 avait certes prévu une clarification de ce régime par la voie réglementaire, mais le décret attendu n’a jamais été pris. Le rapport des inspections – et celui de la Cour des comptes aujourd’hui – relancent donc le débat sur ce sujet très sensible.